Avortement au Texas : Dieu, les républicains et les autres

William Mouelle Makolle
28 Juillet 2013


Le 18 juillet dans l’Etat du Texas aux Etats-Unis, le gouverneur républicain Rick Perry a promulgué une loi visant à diminuer les IVG. Il a invoqué les fondements de la culture de la vie, dans un discours empreint de profondes valeurs républicaines et religieuses, loin de plaire à tous les Texans. Analyse d’une loi dûment controversée.


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La nouvelle loi interdit tout avortement vingt semaines après la fécondation, quatre semaines plus tôt que ce qu’autorise normalement l’arrêt Roe v. Wade, voté par la Cour Suprême en 1973, légalisant ainsi l’avortement. Cette loi devrait par ailleurs conduire à la fermeture de plusieurs cliniques IVG sur les 42 de l’Etat, car chaque clinique devra se munir d’un centre de chirurgie ambulatoire, même si elle ne pratique pas d’avortement. De plus, la loi dispose que les médecins provocant tout avortement devront avoir des droits d’admission en hôpital pour les personnes vivant autour de 48 km et qu’ils devront administrer eux-mêmes l’abortif RU 486 (ou mifépristone), au lieu de laisser les femmes avorter par leur propres moyens chez elles.

Enfin, le cœur de la loi vise à restreindre fortement les conditions d’accès à l’avortement. Seulement 5 des 42 cliniques IVG de l’Etat procèdent à des avortements en chirurgie ambulatoire. Le reste devra dépenser des millions de dollars en rénovations avant septembre 2014 pour remplir les conditions nécessaires pour pratiquer tout avortement. Celles-ci incluent notamment une certaine largeur de hall, l’installation de locaux de concierge et de douches dans les vestiaires du personnel ou une ventilation spécifique.

Amy Miller, présidente du Whole Woman’s Health, dirige six centres IVG au Texas dont un est un centre de chirurgie ambulatoire. Les cinq autres devront éventuellement fermer pour faute de moyens et elle craint de ne pouvoir « trouver une solution pour les femmes d’ici septembre 2014 ». Elle soutient cependant qu’il n’y a aucune différence entre ses petites cliniques et son centre chirurgical. « Le taux d’infection est le même, le taux de sécurité est le même, rien ne diffère (…). L’un est simplement plus cher à construire et à diriger ».

Un discours républicain… donc religieux ?

Selon Rick Perry, le vote de la loi était « un jour important pour ceux qui défendent le droit à la vie et pour ceux qui protègent la santé des femmes du Texas ». Il poursuit, affirmant qu’en signant la proposition 2 de la Chambre des représentants, « nous célébrons et par ailleurs renforçons les fondements sur lesquels la culture de la vie au Texas est construite. » Ce concept de culture de la vie – expression formulée en 1995 par Jean-Paul II dans l’encyclique Evangelium Vitae – trouve alors ses racines en l’Eglise catholique et sera repris lors de la campagne présidentielle de 2000, par George W. Bush, alors gouverneur du Texas.

Déjà, le mifépristone était discuté par un parti républicain aux tendances conservatrices et deux lois fédérales seront mises en application entre 2003 et 2004 pour raréfier les avortements et « promouvoir la valeur de la vie ». En ce qui concerne le Texas, la lutte anti-avortement commence réellement en 2011 lorsque Rick Perry signe deux lois. Une obligeant les femmes à faire une échographie de leur fœtus, de manière à entendre les battements du cœur, 24h avant d’avorter. Une deuxième permettant des coupes budgétaires dans le contrôle des naissances, contrant alors l’Obamacare de 2010 qui couvrait les frais de contraceptifs.

Selon une enquête réalisée par l’université du Texas à Austin en juin 2013, 36% des Texans se disaient en faveur d’une loi plus ferme, 26 % en faveur d’une loi moins stricte et 21% considéraient que la loi devait rester inchangée.

Une loi inconstitutionnelle ?

Ainsi, les partisans républicains pro-life comme Elizabeth Graham du Texas Right to life clament que « ceux qui enfreindront la loi devront être tenus responsables de la mise en danger de la santé et de la sécurité des femmes ». Ils rappellent le cas de Kermit Gosnell, médecin de Philadelphie condamné en 2011 à perpétuité pour avoir involontairement tué des nouveau-nés et une femme en pratiquant des avortements illégaux. Seulement, le vote de la loi a naturellement provoqué de vives tensions du côté des démocrates et des pro-choice.

On se souvient que le 25 juin dernier, la sénatrice démocrate Wendy Davis avait contrecarré le projet de loi, en mettant en scène une obstruction parlementaire (filibuster) de onze heures. L’obstruction fut néanmoins sans réel succès puisque Rick Perry a fait voter la loi en deuxième session. « Le gouverneur Perry et d’autres dirigeants politiques ont choisi des intérêts partisans limités extérieurs aux mères, aux filles, aux sœurs et à chaque Texan qui place le futur du Texas devant la politique et les ambitions personnelles », rapportait-elle peu après la promulgation de la loi.

L’American Civil Liberties Union et le Texas Planned Parenthood ont promis de faire passer la loi devant les tribunaux. Pour eux, elle est inconstitutionnelle puisqu’elle prohibe tout avortement avant que le fœtus ne soit viable en dehors de l’utérus, c’est-à-dire autour de 24 semaines. La Cour Suprême avait statué que les femmes pouvaient interrompre leur grossesse jusqu’à la viabilité du fœtus.

Des conséquences désastreuses pour les populations latinos

Le marché noir semble être l’une des issues les plus envisagées par nombre de femmes aux ressources limitées. De fait, par exemple, si les 5 cliniques non homologuées d’Amy Miller viennent à fermer avec une douzaine d’autres, les femmes pauvres des zones rurales devront voyager deux fois pour trouver un centre IVG (ou payer un hôtel), car l’Etat demande déjà une attente de 24h entre la consultation chez le médecin et l’avortement.

Seulement, beaucoup de femmes- le plus souvent issues de minorités ethno-raciales- ne peuvent s’offrir les frais de transports, encore moins les soins d’enfants si elles viennent à accoucher. Aussi voyait-on fleurir début juillet un marché aux puces en dehors de McAllen (Texas), près de la frontière mexicaine dans la vallée du Rio Grande. Si on y vend des chèvres et des voitures, on y trouve aussi des pilules contre les ulcères d’estomac, vendues par la compagnie Cytotec. Celles-ci sont aussi utilisées comme abortif, à 40 dollars au marché noir contre 550 pour un avortement légal. « Vous seriez surpris par le nombre de gens, de jeunes gens, qui prennent ces pilules », raconte Erlinda Dasquez. Paula Saldana, éducatrice de santé militant pour l’éducation des hispaniques, renchérit : « Seuls ceux qui ont de l’argent vont dans des cliniques. »

Lilian Ortiz, membre de NARAL Pro-choice America, déclarait le 22 juillet que les femmes pauvres et hispaniques ne recevaient pas l’éducation sexuelle nécessaire. Ainsi, elles risquent à tout moment leur vie. Certes, les pilules sont efficaces 92 à 95 % du temps selon Danco Laboratories LLC, fabricant du Mifépristone. Néanmoins, les effets secondaires incluent des naissances prématurées, des avortements incomplets voire des ruptures utérines. Certaines femmes prennent même jusqu’à 2 pilules par heures, attendant un résultat.

La loi sera au premier plan des élections de mi-mandat de 2014. Terry O’Neill de la National Organization for Women soutient que l’association a créé une campagne pro-avortement appelée « We’re not fooled ». Son allié NARAL Pro-choice America lance en ce moment-même une campagne, « Stand up », entendant « poursuivre chaque gouverneur, chaque membre du congrès et chaque législateur qui essaie de se positionner entre une femme et son médecin ». La guerre est déclarée.